Interview pour le site POSCA

Par Sébastien

Céline Chat est venue à Vieux-Boucau, en dessous du bassin d`Arcachon, pour customiser une planche de surf qui sera exposée à Peniche, au Portugal, lors de la finale du GromSearch.
En voici un peu plus sur cette artiste-peintre sympathique et dévouée. C`est ainsi qu`elle se présente : « Je m`appelle Céline Chat, j`ai 36 ans, je dessine depuis que je suis toute petite. J`ai beaucoup peint quand j`ai commencé à voyager, c’était il y a 15 ans. Avant ça, j’ai fait des études de sciences-physiques-chimie qui ne m`ont servi à rien, après j’ai eu envie de voyager, donc j’ai voyagé… »

 * Qu’est-ce que t’ont apporté tous ces voyages ?

J’ai eu beaucoup de temps pour créer et beaucoup d’inspiration, de toutes les cultures que je rencontrais. J’ai commencé à beaucoup peindre et essayer des techniques différentes, j’ai eu la chance de rencontrer des journalistes qui ont écrit des articles sur moi, puis on m’a proposé des expositions. Quand je rentrais en France, les étés, j’exposais, notamment à Biarritz. Petit à petit, ça a commencé à marcher, et j’ai été invitée aux États-Unis. J’ai exposé au musée international du surf à Huntington Beach à Los Angeles. J’ai été invitée à participer à un grand festival sur la culture surf au Brésil. Il y avait des shapers, des cinéastes, des artistes, des photographes, c’était un événement très important pour moi car je me suis rendue compte que je n’étais pas seule à faire ce que je faisais. Il y a plein de gens qui ont la même volonté que moi de faire partager sa conscience, son optimisme, sa culture et ses réflexions. C’était une super étape dans mon parcours. Récemment, j’ai eu une rétrospective de 10 ans de créations à travers le monde. C’était dans une bel endroit à Manosque, à la fondation Carzou, sur 300 mètres carrés, avec des installations et une grosse sculpture.

Je me suis mise à la sculpture cet hiver, j’en ai faite une de 2,5 mètres de haut, 3,5 de long et 1 mètre de large. Elle représente un surfeur plutôt corpulent, costaud, type hawaïen, avec une vague en acier au-dessus de lui. Cette sculpture permet de boucler la boucle avec le surf. Mon univers est aujourd’hui un peu éloigné de celui du surf, même s’il reste autour de la mer et du voyage. Mes dessins et mon art en général sont plus ouverts sur la société. Il y a une petite analyse des médias, de la surconsommation, ce genre de choses… Mais le surf reste une façon de représenter les valeurs qui sont pour moi intéressantes dans la vie. Le personnage de ma sculpture est dans une certaine position : il est ouvert, il va de l’avant, en même temps il est vulnérable, et il y a cette vague en acier qui représente les difficultés, mais aussi ce qui te pousse, ce qui te donne ton élan…

* Tu pratiques le surf toi-même ?

Oui, je fais du surf, ça a été une raison de mes voyages, autant que la curiosité de découvrir le monde, de voir comment ça se passe ailleurs. C’était aussi pour  sortir de mon cocon familial. Je viens de Hyères-les-Palmiers, c’est tout petit, privilégié et préservé, j’en avais marre de tout ça, je souhaitais être bousculée. Quand on part avec mon compagnon, on va 6 mois en Indonésie, aux Philippines, au Maroc, et on y passe l’hiver. On n’est pas tout le temps en train de bouger, ce qui permet de voir comment les gens vivent, de passer du temps avec eux et, du coup, de faire un parallèle avec notre société. C’est très intéressant, enrichissant.

* Ton art a évolué avec le surf ?

Non, on ne peut pas dire ça comme ça, mais c’est vraiment dans le monde du surf que j’ai eu mes premiers contacts intéressants, mes première grosses expo. Les choses les plus importantes étaient dans le monde du surf…

* Voyager ça permet de revenir aux choses essentielles ?

Un petit peu, ça permet de se remettre en question. Quand tu surfes, tu es plutôt dans des petits villages, j’ai déjà un rapport particulier en tant que femmes quand je suis à l’étranger ; et à certains endroits, la femme n’a pas la même place qu’en France. Les femmes te voient être libre, surfer, pendant qu’elles travaillent et s’occupent de leur famille, de leur mari, ça te fait un petit choc. D’un côté, tu te rends compte de la chance que tu as, tu te sens privilégiée…

* Il y a un pays en particulier qui t’a marquée ?

Je suis allée très souvent en Indonésie, je connais bien le pays, je parle indonésien. C’est sûrement le pays qui m’a le plus marquée, mais ça n’a pas forcément influé sur mon graphisme. Je viens d’une région qui est très riche, culturellement, tous les grands maîtres du siècles précédent y sont passés à un moment : Matisse, Picasso, Chagall, Van Gogh, Cézanne… J’ai cet apport et dans mon enfance les mangas ont été marquants. Je suis très curieuse de nature, j’achète beaucoup de revues et des livres d’art, j’aime les dessins humoristiques dans les journaux. L’art doit refléter le monde dans lequel on vit, il doit faire allusion à notre société, donc dans mes dessins, il y a beaucoup de choses du monde réel, comme cette pharmacie, ces paraboles [elle montre des détails de sa planche – ndlr], ce sont des choses que l’on voit au quotidien, c’est la protection, les gens veulent se soigner, ils oublient les choses importantes, les relations humaines… Dans mes dessins, j’essaie de donner ma vision du monde, d’apporter quelque chose de personnel. Ça n’empêche que mon travail est très influencé par des artistes que j’aime bien.

* À quel moment, on décide que le dessin va devenir sa vie ?

On ne le décide pas trop je crois, c’est une question difficile (sourire). Pour moi, ça n’a pas été simple, j’éprouve beaucoup de plaisir et de satisfaction, mais je me remets beaucoup en question, je suis très critique envers mon travail. C’est jamais assez bien, parfois c’est pesant. C’est une liberté de vivre de sa passion, mais tu paie aussi le prix avec des concessions, des prises de choux personnelles. Mais pour l’instant, ça le fait pour moi. Parfois, c’est un peu frustrant aussi, j’aurais envie de vraiment développer des grosses structures, des installations, mais je me retrouve bloquée, en terme de budget et de place. Il faudrait que je loue un entrepôt, ça va se mettre en place petit à petit, mais je ne suis pas fille de riches, donc tout se fait à la force de l’énergie, donc ça n’est pas toujours évident. En gros, ça fait deux ans que j’ai décidé d’en vivre, je ne bosse pas à coté, il y a des hauts et des bas.

* Je vois que tu utilises plusieurs techniques : le collage, le feutre, la peinture…

Oui, c’est aussi une manière de représenter le monde dans lequel on vit, de métissage, d’interactions, de mélanges. Au début, je n’ai fait que de l’acrylique, de l’huile, des collages, et depuis deux ans, c’est comme si comme tout ce que j’avais appris s’était télescopé. Maintenant, j’ai besoin de cet univers riche de matières, de couleurs et d’aspects, pour créer. Ça représente aussi cette mondialisation, ces échanges que l’on a entre les pays, les échanges culturels, que j’ai aussi vus évoluer. Quand j’ai commencé à voyager, il y a 15, en Indonésie, ils étaient habillés différemment de nous, surtout dans les endroits paumés de surf. Aujourd’hui, ils sont mieux habillés que moi, ils sont à la mode, c’est assez nouveau tout ça.

* Il y a aussi la nature, l’écologie, la musique, qui sont très présents sur cette planche…

Oui, c’est le thème. Et je crois que l’artiste, à un moment donné, a un petit rôle. Ça dépend de chacun, mais je me dis que si je présente mon travail, j’ai une responsabilité, je dois aussi diffuser un message. Et il y a la musique, c’est international, c’est les vibrations, le surf, le rock & roll, la nature, j’adore ça. Mes dessins, c’est surtout un hommage. Le message de protéger la nature est assez clair, et il est bien passé partout, je veux qu’il soit présent dans mon travail via les couleurs, le graphisme, mais aussi la matière.

* Il y a des artistes que tu apprécies tout particulièrement ?

Oui, beaucoup. Dès que je suis à Paris, je vais dans les galeries et les musées, c’est important de regarder ce que font les autres, pour se placer dans un contexte, pour évaluer son travail. C’est important de s’inspirer, l’art a toujours avancé comme ça. Quand j’aime beaucoup le travail de quelqu’un, j’essaie de comprendre comment il a fait, et je vais m’inspirer de ses techniques. Je ne vais pas reprendre son graphisme ou ses dessins, mais si j’aime la technique, je vais essayer.

En ce moment, j’aime beaucoup le travail d’Alex One. J’adore ses couleurs, ça parle à mon cerveau, il y a plein de dessins entremêlés. J’aime aussi Basquiat, qui est simple, mais aussi fort et violent, avec des arrangements de couleurs d’une délicatesse, d’une douceur… Ce contraste m’intéresse beaucoup. J’aime Picasso, mais je fais une overdose. Intellectuellement j’aime beaucoup son travail sur la couleur, ton œil est très sollicité quand tu regardes un Picasso, tu ne lâches pas le tableau. C’est ce que je pense : quand un tableau est réussi, tu vas d’un endroit à l’autre, comme quand tu regardes du feu ou des vagues. Quand tu en as fait le tour en deux secondes, c’est que c’est pas très intéressant.
J’aime aussi Banksy, mais je ne m’inspire pas de son travail. J’ai beaucoup aimé le documentaire qu’il a réalisé Faites le mur [Exit through the gift shop en VO – ndlr]. C’est vraiment un génie, dans la simplicité, l’impact et le fait qu’il veuille rester anonyme, à l’heure où tout le monde veut se mettre en avant avec les réseaux sociaux. C’est peut être marketing, comme ça tout le monde parle de lui ! Il arrive vraiment à identifier ce qui se passe dans le monde, et le résume en quelques traits. Il y a tout particulièrement ce dessin qui m’a touchée d’un gamin noir sur un tas d’ordures avec un t-shirt « je hais le lundi ». C’est vraiment fort, ça te fait réfléchir. C’est aussi le contraste entre nous et le reste du monde, la chance que l’on a… C’est probablement un artiste avec beaucoup d’humanité. Même si les artistes qui sont passés à Versailles sont géniaux, il leur manque un truc, un certain investissement pour faire réfléchir les gens…

* Oui, d’ailleurs dans le surf, on retrouve quelque chose de démocratique…

Oui complètement, une planche, c’est pas très cher, et c’est gratuit pour en faire. Quand je suis allée au Brésil, j’ai rencontré un gars qui a monté un club de surf dans les favelas, il a fait ça pour éviter que les enfants tombent dans le trafic de drogue, mais aussi pour leur apprendre les valeurs de la vie, qu’il faut partager, s’entraider, se battre. Il y a plein d’endroits où le surf permet de faire faire des choses aux gamins, sinon ils se font trop chier.

* C’est quoi la suite pour Céline Chat ?

Là, je sature un peu des formats plats, alors j’ai envie de faire d’autres choses, de peindre sur d’autres supports. Je viens de récupérer un vieux Vespa, et je vais le peindre. J’ai aussi le projets de peindre sur des épaves à travers le monde. J’ai fait un rescue boat en Indonésie et un vieux bateau de pécheur en bois en Bretagne. Ça amène l’art là où il n’y en a pas, c’est aussi un clin d’œil au street art. Ensuite, je fais des photos et j’espère en faire un petit livre quand j’en aurai une trentaine. C’est un projet à perte, dans lequel j’investis mon argent, il faudrait que je me bouge pour trouver des sponsors, des gens pour m’aider. Autant je suis bonne pour avoir de l’imagination, autant pour trouver de l’argent c’est pas toujours évident ! Souvent j’entends dire : « Être artiste, c’est une passion ! », mais quand on va à la boulangerie, on ne nous file pas le pain ! Le projet des épaves, ça va se faire petit à petit, avec la confiance en soi et des rencontres avec les bonnes personnes. C’est aussi un petit coup de bol, mais je crois qu’il faut juste faire des choses…

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